Vivien Cabrol fait partie de nos experts métier et est le référent de la formation « Acting Facial : Maîtriser l’expressivité du visage » pour ECAS EXPERTS. En tant que formateur référent, il développe le programme conjointement avec le service pédagogique de l’ECAS pour apporter son expertise du geste métier et coordonne les autres intervenants du programme.
Quelles sont les compétences clés que vous enseignez dans le module d’Acting Facial à l’ECAS et pourquoi sont-elles essentielles pour les animateurs ?
Au sein de cette formation les participants prendront connaissance du fonctionnement du visage et de sa capacité à véhiculer des émotions. On va s’attarder à comprendre les mécanismes musculaires qui sont à l’origine du mouvement, mais au-delà de ça, analyser pourquoi est-ce que nous sommes motivés par certaines forces qui nous font agir sans même que nous en ayons conscience.
Donc plus qu’une formation technique où j’apprendrai comment animer un clignement d’œil je vais tâcher de transmettre un savoir autour du fonctionnement cognitif et son influence dans nos actes du quotidien. En tant qu’artiste je trouve beaucoup plus intéressant de comprendre ces mécanismes sous-jacents dans un premier temps pour ensuite rentrer dans le détail technique de la fabrication. Dans le jeu d’acteur la motivation est un des ressorts fondamentaux du mouvement, donc ne pas prendre en considération ce qui fait qu’une personne est surprise, en apprenant par exemple à faire une réaction de surprise standardisée, risque de vous enfermer dans un automatisme de fabrication.
Si il faut donc parler de compétences, je dirai que la faculté d’analyse est une notion essentielle dans l’animation de l’acting. Contrairement aux acteurs, les animateurs se situent sur un temps qui les placent dans un entre deux. L’acteur est focalisé sur sa performance, où plutôt sur son flux vital. Il doit être juste dans son intention au moment présent. Les grecs dans l’antiquité appellaient ça le kairos, le bon moment pour agir. L’animateur lui a pour devoir d’exécuter une performance sincère en la rejouant constamment, comme s’ il était pris dans une boucle temporelle où l’intention se rejoue constamment. Il vient façonner son intention par des mouvements assez grossiers au début, puis affine au fur et à mesure les détails. Donc si l’analyse au départ n’est pas faite correctement sur les enjeux de son plan, le conflit qui traverse son personnage et l’interaction qu’il développe avec son environnement alors l’animateur va travailler au mieux sur un mouvement caricatural, et au pire, passer à côté de l’intention requise.
La deuxième compétence essentielle est pour moi l’empathie. Si l’animateur n’arrive pas à partager les motivations de son personnage alors il risque fort de rater ce qu’il doit communiquer au spectateur qui lui-même fera preuve d’empathie en regardant le personnage dans le film. On sait maintenant que l’empathie est un fonctionnement inconscient généré par les neurones miroirs, donc a priori, tout le monde fait preuve d’empathie. Pour autant le degré d’empathie varie selon les individus, apprendre à regarder et se laisser aller à des émotions est parfois un sujet délicat qui frôle le voyeurisme et la fragilité excessive. Cela est assez mal vu dans certaines sociétés et cela bloque les gens dans leur capacité à vivre à travers les yeux de l’autre. C’est pourquoi il est indispensable, notamment par la pratique théâtrale, de se dégager de ces inhibitions qui nous limitent. Savoir réguler ses émotions et les mobiliser au moment voulu est un énorme gain quand on doit animer un personnage traversé par un affect spécifique.
Pouvez-vous partager une expérience marquante ou un projet qui illustre l’impact de l’Acting Facial dans la réalisation d’un projet d’animation ?
Cela fait presque dix ans que je supervise des animateurs à Teamto pour différentes séries d’animation et je vois bien que ceux-ci sont frustrés de ne pas avoir le temps de pousser leurs animations à un niveau de détail qui est exigé en long métrage. D’une part les juniors n’ont pas les compétences pour le faire, et les confirmés savent qu’il faut sacrifier de la qualité d’animation pour rentrer dans les quotas journaliers. Il y a donc une énorme envie pour ces animateurs de fabriquer des animations qui exigent un degré de réalisme plus poussé. Alors, comme je leur explique aussi, c’est que selon le style d’animation demandée, il n’est pas forcément nécessaire d’avoir une animation faciale aussi subtile pour faire fonctionner un plan, cela peut même être contre-productif si cela ne respecte pas les codes imposés par la charte graphique et le style d’animation requis.
Au-delà de ça, il m’arrive assez souvent de voir certains animateurs proposer des expressions faciales totalement incohérentes. Des mouvements qui ne respectent pas le fonctionnement musculaire et qui produisent un certain malaise quand on regarde ce genre de visage. Cela renvoie à ce que l’on nomme l’uncanny valley, un terme qui désigne le fait que plus une création artificielle s’approche de la réalité, plus ses erreurs seront jugées par nos yeux humains comme des monstruosités. Ce sont des sensations que l’on a observé notamment lors les premiers temps de l’image 3D animée quand la représentation graphique s’approchait plus du réalisme physique qu’avec le dessin animé traditionnel. On retrouve aujourd’hui ce genre de choses avec les images de l’IA générative. Quand on regarde l’image dans son ensemble rien ne nous choque directement mais certains détails peuvent participer à ce malaise visuel (répétitions de motifs, dédoublement de parties corporelles, anomalie de placement etc…). Il est donc primordial de comprendre comment notre visage fonctionne si l’on veut reproduire et véhiculer une émotion, même si l’on veut la réduire à son plus simple apparat pour la faire coïncider à un style d’animation minimaliste.
En quoi l’Acting Facial est-il crucial pour la narration dans l’animation, et comment abordez-vous cet aspect dans votre enseignement ?
En langage cinématographique pas mal de codes sont à connaître pour faire passer au mieux le message que l’on veut exposer. Les animateurs n’ont pas forcément besoin d’être au clair avec tous ces codes (même si je trouve important d’avoir ces notions de découpage et de mise en scène) car ils héritent du travail fait par les graphistes en amont de la chaîne de fabrication, storyboard et layout spécialement. Ils ont un plan où leur personnage est déjà positionné et cadré d’une certaine façon, donc leur intervention se limite normalement à ce que ferait un acteur sur scène : se positionner à la bonne place et délivrer l’intention demandée par le réalisateur en gardant à l’esprit le cadrage dans lequel il est filmé, dans le cas du cinéma.
La narration est donc déjà déterminée par le montage, l’effet Kouleshov l’a bien prouvé. On attribue des émotions différentes à un visage neutre selon ce qu’il regarde, un plat appétissant, un cercueil ou bien une jolie personne. L’animateur a un devoir de clarté, il doit tout faire pour éviter la confusion dans l’interprétation que fait le spectateur à la vision de son travail. Pour maîtriser cela il doit avoir assimilé les codes communicationnels qui font qu’on tire une information A unique et invariante du stimulus visuel A’. Si le spectateur tire de ce même stimulus une information B alors cela veut dire que le cadre de jeu et l’expression choisie n’était pas la bonne. Ce que l’on fait tous les jours doit donc passer à la moulinette de l’analyse afin de conscientiser cela et maîtriser les ressorts de l’interaction interpersonnelle.
Faire ce pas de retrait est décisif dans la capacité qu’ont les animateurs à analyser en première instance leur travail. Beaucoup d’entre eux raisonnent simplement en validant leur travail par le fait qu’ils connaissent en eux-même les motivations de leur personnage. Comme l’intention est claire pour eux ils imaginent qu’elle le sera pour une autre personne, sauf que celle-ci ne dispose pas d’autant d’informations et doit se référer essentiellement à ce qu’elle voit à l’écran sans pouvoir partager ce qu’a ressenti l’animateur quand il a fait ce mouvement. Si le mouvement est donc bancal ou l’expression pas assez claire alors il y a un risque de malentendu.
Quels sont les défis les plus courants que rencontrent les étudiants en apprenant l’Acting Facial, et comment les aidez-vous à les surmonter ?
La plus grosse difficulté réside dans la connaissance de son personnage, car au-delà de la compréhension des mécanismes physiologiques il faut savoir comment les appliquer sur une morphologie particulière afin d’éviter le off-model. Savoir quand son personnage est off-model – c’est-à dire qu’il perd son identité visuelle en étant trop déformé – demande du temps et un regard assez pointu. En animation 3D les squelettes permettent d’aller assez loin dans les déformations du visage et on peut vite arriver à des résultats pas très heureux. La première étape est donc celle du posing, faire connaissance avec son personnage et le caractériser dans une pose fixe. Une fois que je connais les limites, je peux jouer dans le cadre de celles-ci. Je sais que quand je vais faire sourire le personnage je ne dois pas tirer les commissures au-delà de ce point sinon on ne le reconnaît plus. J’insiste sur le « on » car cela doit être un référentiel collectif unique. C’est pourquoi en série et même en long métrage les animateurs disposent d’une banque d’expressions faciales permettant à la fois d’éviter le off-model et de se familiariser avec le personnage quand ils commencent à animer avec lui.
Une autre difficulté quand on passe à l’émotion en mouvement est de savoir quand faire apparaître l’émotion, combien de temps la tenir et comment la faire transiter sur une autre. Ces notions de timing sont délicates et font appel à pas mal de subjectivité. Il est vrai qu’il existe des temps de réponses moyens suite à certains stimulus mais qui vont varier selon les conditions. La plus grosse erreur des étudiants ou des gens qui débutent dans l’acting facial est de vouloir montrer très rapidement l’émotion à son climax. Ils sous-estiment donc énormément le temps de réaction et les processus cérébraux qui font que nos émotions évoluent de façon assez subtile. Pour appuyer cette idée, imaginez que vous racontez une blague que vous savez être amusante mais sans plus, et que la personne qui vous écoute, à peine le dernier mot prononcé, lâche un rire très bruyant et soutenu. Je parie que vous serez plus surpris qu’elle car la réaction n’est pas celle que vous attendiez, il est même possible que vous vous vexiez car vous risquez de prendre cela pour de la moquerie.
Pourriez-vous nous parler de l’évolution de l’Acting Facial dans l’industrie de l’animation ?
Avec le développement technologique il est devenu de plus en plus facile d’utiliser son téléphone mobile pour enregistrer une référence vidéo. L’amélioration des capteurs et la possibilité de filmer à des cadences permettant des ralentis rendent l’analyse des contenus de plus en plus pointus et accessibles à tout un chacun. Tout comme l’animation 3D a rendu la prévisualisation de l’animation très rapide comparativement à l’animation 2D sur papier. Cela permet aux animateurs, à condition qu’ils aient le temps d’effectuer cette phase préparatoire dans leur travail, d’augmenter considérablement leur qualité d’animation et de se rapprocher de plus en plus de la réalité. En plus de cela, l’accessibilité de contenus en ligne offre une multitude de références sur l’expressivité du visage et du corps. Les banques de gif, bien que de basse qualité visuelle, ont l’avantage de répertorier des intentions codifiées et permettent aux animateurs de parcourir un large choix de mouvement en fonction d’un ou deux mots clés.
Quand la motion capture a commencé à se développer dans l’industrie on a pensé que toutes les productions auraient recours à ce genre de procédé pour à la fois bénéficier de plus de réalisme et permettre de grands gains de productivité. Cependant il s’est avéré que celle-ci ne permettait pas de retransmettre la richesse expressive dont est capable le visage humain. C’est pourquoi, pendant quelques années, la motion capture faciale a été massivement utilisée dans le jeu vidéo qui lui recherchait un niveau de réalisme global élevé. Le réalisme du mouvement s’opérait au détriment de la finesse expressive car les capteurs ne permettaient pas d’enregistrer les micro-mouvements et donnaient aux personnages un aspect botoxé. Comme cela ne gênait pas vraiment l’expérience de jeu, car les gros plans étaient réservés à des moments de cinématique plutôt exceptionnels, l’industrie du jeu vidéo à continuer à se reposer sur la motion capture. L’industrie du cinéma a continué, elle, a recourir aux animateurs keyframe (qui créent entièrement le mouvement du début à la fin) afin de bénéficier de l’expertise de ceux-ci et donner un maximum d’expressivité à leurs personnages afin que les spectateurs puissent s’identifier au maximum à ceux-ci.
Avec Avatar, James Cameron a grandement œuvré pour l’amélioration des procédés de capture faciale. L’amélioration des technologies de rendu et les performances des processeurs ont permis de pousser le réalisme des acteurs de synthèse à un niveau où il est désormais impossible de distinguer le vrai du faux. Avec l’IA il est même possible maintenant d’extraire des mouvements à partir de vidéos diverses et réintégrer cela dans d’autres sources, comme un personnage modélisé en 3D. C’est un outil très puissant qui questionne beaucoup, à la fois sur sa responsabilité juridique – car l’extraction de données privées viole les lois de la propriété intellectuelle – mais aussi qui interroge sur le risque de dégradation des conditions de travail, les artistes devenants de simples prompteurs ou bien correcteurs de données. Cette baisse de qualification porte avec elle le risque de la perte de savoir-faire tout comme la calculatrice a éloigné les gens du calcul mental et le correcteur d’orthographe de la grammaire.
Pour autant, l’envie de créer demeure, et bien que ces technologies permettent une massification de la création on observe toutefois que celles-ci poussent une très grande majorité des utilisateurs dans une fabrication standardisée. Reste aux vrais artistes de s’en emparer pour soutenir leur projet artistique proposant une alternative ou bien la refuser au profit d’une expression autre.
Comment l’intégration de l’Acting Facial dans la formation des animateurs à l’ECAS influence-t-elle leur employabilité et leur adaptabilité dans divers segments de l’industrie de l’animation ?
Avant toute chose, je souhaite déjà qu’avec cette formation les animateurs participants auront du plaisir à découvrir et pratiquer la richesse de l’acting facial. Quand bien même ils resteraient dans l’animation de séries télé à haut rendement, ils auront au moins en tête des idées plus riches d’acting et sauront quoi simplifier dans leurs animations sans perdre en qualité de jeu.
Ceux qui seront le plus à l’aise avec l’acting facial, tout en maîtrisant le reste des compétences requises en animation, pourront prétendre à des projets plus qualitatifs qui demandent un savoir-faire rare. Dans ma carrière j’ai vu peu de gens vraiment à l’aise avec l’acting et à chaque fois que j’ai travaillé avec ce genre de personne je souhaitais de tout coeur continuer à les avoir dans mes équipes. Ce sont des gens qui donnent corps aux marionnettes et qui leur donnent une présence unique, une charge émotionnelle, une vitalité non archétypale. Ils ont cette capacité à trouver le mouvement adéquat et à leur insuffler le souffle vital, l’anima.
L’industrie de l’animation est de plus en plus compétitive aussi il faut savoir se démarquer par rapport aux autres. Les salaires sont à la traîne par rapport aux hausses de l’inflation ce qui fait qu’un animateur confirmé sur certains secteurs géographiques n’est pas forcément beaucoup plus cher qu’un junior arrivant dans le milieu. C’est pourquoi il est impératif d’être formé correctement, et l’acting reste un registre assez mal représenté dans la formation je trouve. Car autant il est assez facile d’étudier de la mécanique corporelle, autant étudier l’acting demande un investissement personnel plus fort et un formateur qualifié.
Les offres de formation proposées en ligne sont souvent l’apanage de professionnels venant de la culture américaine, et je trouve que les étudiants qui ressortent de ces formations ont tendance à fournir un travail assez convenu, avec, par exemple pour l’acting, une personne assise derrière une table qui va délivrer un monologue très caricatural. Je ne dénigre pas cette offre mais je ne suis pas forcément en adéquation avec l’école américaine. A mon sens la formation française a énormément à proposer, d’autant plus que les salariés peuvent en bénéficier sans avoir à engager leurs économies pour monter en compétence, ce qui ouvre celle-ci aux acteurs du métier de façon beaucoup plus démocratique.
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