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Actualités de l'ECAS

Parole à nos experts / La couleur

Dans le cadre du développement de nos programmes de formation, nous collaborons avec des professionnels et des studios de l’industrie créative et culturelle.

Nicolas Dufresne fait partie des experts que nous avons sollicités pour devenir intervenant référent à l’ECAS.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Qui êtes-vous et que faites-vous ?

J’ai plusieurs casquettes dans le domaine de la production animée, à la suite d’un parcours assez varié. Je suis sorti en 2008 de Supinfocom, et, en parallèle d’un intérêt marqué pour le rig et l’anim 3D, j’ai aussitôt commencé à travailler à Ankama Animations comme opérateur compositing ; j’y suis resté 6 ans et j’y ai notamment été par la suite chef compositing et monteur sur divers projets d’anim 2D et 3D (séries, courts et pilotes, long métrages). C’est avec ces expériences que je me suis confronté et intéressé aux problématiques liées à la couleur, qui se révèlent en fin de chaîne de prod’, aussi bien sur le plan artistique que terchnique.

Après Ankama, j’ai cofondé la coopérative de production Rainbox Productions, où j’ai pris en main l’aspect technique en continuant de travailler sur divers pipelines, aussi bien 2D trad que 3D, sur toutes sortes de films, allant d’installation muséographiques intéractives en temps réel au long métrage cinéma plus « classique ».
J’ai aussi développé de plus en plus d’outils divers, et par exemple DuME, un encodeur de médias professionnel, très versatile, qui m’a amené à approfondir mes connaissances techniques sur la couleur, l’intégration d’OpenColorIO (OCIO), les espaces colorimétriques, l’encodage, et le fonctionnement détaillé du format openEXR par exemple. Ou encore Ramses, un framework (encore en Beta) de gestion de pipeline et suivi de production (qu’on teste sur quelques prods et avec quelques écoles).

Aujourd’hui je continue toutes ces activités, en essayant de ne pas lâcher aussi le travail d’auteur (je développe actuellement un court métrage en animation 2D) ; j’enseigne aussi sur tous ces sujets dans diverses écoles et en donnant quelques formations. Je monte actuellement une association de promotion de l’usage de logiciels libres dans la prod’ audiovisuelle (comme Linux, Blender, Krita, et les outils que moi même je développe), RxLaboratory.

Lorsque vous parlez de la gestion des couleurs dans une production, quels outils utilisez-vous ?
Existe-t-il une méthode type pour gérer efficacement la couleur ?

La manière dont on va gérer les couleurs varie en fonction des studios, et même de chaque production ; elle dépend de la technique d’animation et des logiciels utilisés dans le pipeline. Certains choix techniques concernant la couleur impactent aussi la manière de travailler et le résultat artistique sur les images, ce sont donc des choix à toujours remettre en question.
Cela étant dit, il y a des constantes à toutes les productions, le but étant toujours le même : avoir le contrôle sur la manière dont les couleurs sont calculées, sauvegardées, affichées, pour avoir à chaque étape de fabrication une reproduction la plus fidèle possible et pouvoir parler des images en ayant tous les mêmes couleurs sous les yeux. Il y a des outils communs à presque toutes les productions : OCIO (openColorIO) pour une gestion des couleurs transversale entre les différents logiciels et le format d’image openEXR idéal pour toutes les étapes, et puis des images de test, des mires en tous genres pour contrôler la fidélité. Au delà des outils logiciels, il y a aussi l’aspect matériel : l’environnement (les lumières, les fenêtres, la couleur des murs, les écrans, et notre meilleure amie la sonde de calibration des écrans).

Pour les studios, la gestion de la couleur est-elle une thématique qui nécessite du temps, une organisation technique et humaine, ainsi que des moyens spécifiques ?

Lorsqu’un studio décide de mettre en place ou d’améliorer la gestion des couleurs dans son ou ses pipelines, la première chose à faire, qui ne sera à faire qu’une fois, est d’améliorer l’environnement de travail : l’éclairage du studio, l’occultation des fenêtres, éventuellement changer la couleur des murs ; définir à quelles étapes de fabrication, pour quelles équipes, il faudra être le plus intransigeant sur ces divers paramètres. Après cet aspect logistique, il y a un travail de mise en place à faire pour chaque production ou chaque nouveau pipeline, de bien concevoir la gestion des couleurs tout au long du pipeline, et ensuite le faire évoluer au besoin, en contrôlant régulièrement que tout se passe bien. Sans oublier de contrôler et recalibrer les écrans régulièrement ! Une fois que quelqu’un est habitué à ces sujets, ce n’est pas quelque chose de si complexe, à condition de rester vigilant. Il est aussi nécessaire de bien former les graphistes au pipeline utilisé, de les sensibiliser sur le sujet de la couleur et ainsi éviter les erreurs dans leur logiciel tout en les déstressant sur le sujet. J’ai souvent constaté, dans divers studios et écoles, que les couleurs sont parfois mal comprises, et que c’est un sujet à dédramatiser : les solutions sont moins complexes qu’elles n’y paraissent, à condition d’avoir un « référent couleur » (généralement un TD), c’est mon premier conseil !

Par où peut-on commencer, à son propre niveau, pour améliorer la gestion de la couleur ?

La première étape, primordiale mais paradoxalement souvent oubliée, et d’apprendre ce qu’est la couleur ! Ce n’est pas si évident, la couleur étant l’interprétation par le système nerveux d’un signal lumineux, il y a à la fois une part purement physique, faite de photons et de fréquences, une part intermédiaire qui est le fonctionnement de la rétine et sa réponse aux signaux lumineux, et enfin la part apparemment plus subjective d’interprétation cérébrale. Heureusement, tous ces sujets ont été étudiés et parfaitement compris au cours de ces 150 dernières années.

Il faut ensuite avoir des notions sur la numérisation des couleurs : comment fait-on à la fois pour capter et numériser un signal lumineux, et pour le reproduire, de manière à ce qu’un être humaine voie la couleur voulue lors de la reproduction ? Quelles solutions sont trouvées pour « réduire » la quantité d’informations contenus dans les milliards de photons d’une simple impulsion lumineuse dans une donnée numérique qui tienne sur un disque dur ? C’est là qu’interviennent tous les gros mots qui peuvent faire peur : espaces colorimétriques, gamma, YUV, RGB, sous-échantillonnage… La liste est longue ! Mais en comprenant les points que je viens de citer, une logique se dégage et on devient capable de comprendre et déduire logiquement à quoi correspondent tous ces éléments techniques.

La dernière étape, qui par erreur est souvent celle par laquelle commencent les graphistes qui s’inquiètent de leurs couleurs, est enfin celle de comprendre son outil de travail, qu’il soit peinture ou logiciel, pour le régler correctement, et anticiper la manière dont les couleurs vont apparaître à l’usage… C’est l’étape qui ne parait difficile que parce qu’on ne maitrise pas les points précédents, alors qu’elle se règle avec quelques tutoriels ou simplement la doc du logiciel. On peut arriver à des solutions empiriques en allant vite et « à l’oeil », mais il restera toujours le petit stress de savoir si l’export final aura les bonnes couleurs lors de la projection !

Comprendre comment les couleurs sont générées techniquement permet aussi de comprendre les impasses artistiques dans lesquelles on peut se retrouver, et les contraintes posées par le numérique et notre système de reproduction à base de trois primaires RVB (et donc de trouver de bonnes solutions techniques et artistiques).

J’ai quelques exemples parlants :

  • Il est absolument impossible de faire du rouge, du bleu ou du vert à la fois très saturé et très lumineux en numérique ! Dans la vie réelle, le point rouge d’un laser est visible sur un mur blanc, et parait évidemment plus lumineux, plus intense que le mur lui même. C’est un défi artistique à reproduire en numérique. Ou encore, le soleil est à la fois jaune et le plus lumineux des objets de l’environnement, il est plus lumineux que la neige blanche. En affichage numérique RVB, il est absolument impossible d’avoir un point coloré qui soit plus lumineux que du blanc (le blanc résultant du mélange de rouge, vert et bleu, il est nécessairement trois fois plus lumineux que le rouge seul).
  • Les moteurs de rendu, dits « physically based renderers » ont un fonctionnement en réalité loin de la lumière physique. Dans l’impossibilité de régler le véritable spectre des lumières, la manière dont les lumières colorées se mélange résulte d’un choix propre au moteur de rendu mais ne permet pas de reproduire toutes les situations réelles sans passer par une étape de compositing ; il est notoirement difficile de reproduire le cas d’une scène éclairée par un spectre lumineux « réduit », ne contenant que certaines fréquences.
  • La dynamique (très) réduite des images (l’écart entre le noir et le blanc le plus lumineux) comparée à la vie réelle est ce qui pose le plus de problèmes aux photographes, aux lighters 3D, aux opérateurs compo : les scènes intérieures avec une fenêtre donnant sur un beau temps d’été bien lumineux, l’intérieur d’une voiture en plein jour, les effets de magie sur un ciel bleu de midi (ne faites pas ça ! la magie ne fonctionne que par mauvais temps, c’est bien connu)… Il est tout simplement impossible de reproduire certaines scènes et il faut user de solutions et de triches artistiques pour contourner le problème…

 

Pourriez-vous citer des exemples d’œuvres où la couleur joue un rôle fondamental d’un point de vue subjectif ?

J’ai le sentiment qu’une majorité des grosses production d’animation sont assez semblables dans leur manière d’utiliser la couleur, avec des univers très saturés, aux teintes nombreuses et variées, techniquement irréprochable mais que je trouve finalement assez banal ; en terme de choix artistique à propos des couleurs, je suis plus sensible à des films comme Valse avec Bachir, Metropia ou Ethel & Ernest, pour citer trois films très différents.
À l’opposé de l’usage primordial mais pas très fin d’oppositions de couleurs orange-bleu dans des films d’animation comme Titan A.E. ou Final Fantasy (les deux sont d’ailleurs symétriques : dans Titan A.E. l’orange est la couleur chaleureuse, celle des héros, alors que dans Final Fantasy c’est celle des dangeureux fantômes alors que c’est le bleu qui est qualifié de doux et chaleureux), c’est paradoxalement plutôt du côté de films en prise de vues que je trouve des exemples avec un usage à la fois plus fin mais aussi plus narratif et fondamental de la couleur ; je pense à Incassable par exemple, où Shyamalan nous dévoile toute sa trame narrative dès les premiers plans du film grâce aux couleurs (la doublure intérieure violette (des vilains) du manteau de Samuel L. Jackson à opposer à l’imperméable jaune-orangé de Bruce Willis par exemple). Ou encore Le Congrès de Ari Folman où les séquences animées sont une explosion de couleurs psychédéliques qui répondent au pseudo-réalisme (teinté de futurisme froid et assez monochrome) du début du film en prise de vues réelles. Les choix colorés du Dracula de Coppola sont aussi pleins de symboles qui participent à la construction de l’ambiance théâtrale et si particulière du film…

Je ne m’aventure pas du côté des arts plastiques où il y a beaucoup trop à dire sur la couleur 😉 Mais je ne me lasserai jamais d’un tableau de Turner…

En fait, la couleur est la lumière, mais qu’est-ce que la lumière exactement ?

En fait, la couleur, c’est plus que la lumière : c’est l’interprétation que fait un humain de la lumière. Mais effectivement tout commence donc par la lumière, qu’il faut donc comprendre. Elle est une toute petite sous-partie du spectre électro-magnétique, un type de rayonnement porté par les photons, qu’on caractérise par leur fréquence (ou longueur d’onde, c’est la même chose). Le spectre complet est infini, il inclue les ondes radio, les micro-ondes (celles du four du même nom, et celles du wifi et de la 4G), les rayons X, les rayons Gamma, et donc aussi un tout petit bout qu’on appelle la lumière visible, qui n’est pas différente du reste si ce n’est que c’est la partie que les humains voient. Tout ça n’est que photons, tous parfaitement semblables sauf leur fréquence (on devrait dire qu’une antenne radio voit plutôt qu’elle n’écoute).

La lumière est donc une gamme de fréquences au sein de cet énorme spectre, et les couleurs sont l’interprétation du mélange de rayons lumineux qu’on reçoit et détecte avec la rétine des yeux : une presque infinité de rayons dont les longueurs d’onde sont comprises entre 700 nm et 400 nm. D’autres animaux peuvent voir d’autres fréquences qui constituent leur lumière visible à eux, par exemple supérieures à 700nm (les infrarouges) ou inférieures à 400nm (les ultraviolets). En astronomie, on observe un spectre immensément plus large encore, et les images célèbres qu’on voit sont des images recolorées pour montrer toutes ces fréquences normalement invisibles pour nous humains.

Comment transpose-t-on la gestion de la couleur et de la lumière dans un espace numérique ?

C’est toute la difficulté de la gestion des couleurs. La lumière représente une gamme infinie de rayons, et malgré tous les progrès de l’informatique, on est toujours bien trop contraints en place et en capacité de calcul pour stocker et reproduire toute cette information.

La bonne idée est donc de se situer non pas au niveau de la lumière, mais bien de la couleur, c’est à dire de l’interprétation de la couleur par l’humain. En effet, on ne voit pas tout uniformément ; par exemple, l’oeil est plus performant dans les basses lumières que dans les fortes intensités, ce qui permet de limiter la quantité d’informations qu’on stocke dans les hautes lumières sans perte visible de qualité.
De la même manière, l’oeil étant principalement sensible à trois fréquences précises plutôt que tout le spectre, on peut reproduire les couleurs en se basant sur ces seules trois fréquences (teintes) plutôt qu’en enregistrant toutes les fréquences ; c’est le principe des couleurs primaires RVB.
Et évidemment, on procède à un échantillonnage : on n’enregistre pas toutes les informations de manière continue, mais on utilise des valeurs discrètes, on divise en petits morceaux, spatiaux (ce sont les pixels) et d’intensité.

Ces différentes méthodes, et d’autres encore, permettent de limiter la quantité d’information à traiter sans (trop) altérer la fidélité et la qualité des images qu’on fabrique. C’est un processus en constante évolution pour se rapprocher de ce qu’on voit réellement (mais on en est encore loin), par exemple par l’augmentation des résolutions, ou le HDR qui augmente la quantité de niveaux d’intensité qu’on peut représenter… En posant de nouveaux défis de calcul et de stockages !

 

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